Théorie de la richesse des médias: le choix d’un média ou l’effet millefeuilles? – R. Daft et R. Lengel, M. Kalika

Les schémas

SchémaA trm2

L’adéquation entre les tâches et les médias (Daft et Lengel 1986)

Définition des principaux concepts

La théorie de la richesse des médias, développée par  R. Daft et R. Lengel (1987) complète le modèle de transmission Émetteur-Canal-Récepteur (voir Théorie mathématique de la communication), en traitant ici de l’incertitude et de l’équivoque de l’information à transmettre par le canal. L’hypothèse générale est que l’on chercherait à assurer une adéquation (un Fit) entre :

  • d’une part la richesse des différents canaux utilisables, laquelle dépend des caractéristiques “objectives” du média (caractéristiques qui seraient donc invariantes par rapport au contexte);
  • et d’autre part la richesse de l’information à transmettre lors d’une tâche à exécuter (richesse dépendante de l’incertitude et de l’équivoque perçues).

1. La richesse des différents médias utilisables

D’un point de vue descriptif, les différents médias sont alors classés selon un continuum, du « plus pauvre” au « plus riche “ (depuis le SMS ou le Tweet… jusqu’au face-à-face) en fonction de leur capacité de changer la compréhension dans un intervalle de temps donné, capacité qui dépend :

  • de la vitesse de réaction (le feed-back instantané permet par exemple de poser des questions simples et d’obtenir des corrections);
  • de la variété des canaux disponibles (verbal ou non verbal: la voix, les mots, les chiffres, les graphiques, les gestes, les sourires… enrichissent une communication, surtout lorsqu’ils peuvent être utilisés simultanément);
  • de la personnalisation possible;
  • et de la richesse du langage (la communication orale est par exemple considérée comme plus riche que la communication écrite).

2. La richesse des messages à transmettre

D’un point de vue prescriptif,  un individu  “rationnel”, muni des quatre critères ci-dessus, devrait alors faire correspondre la richesse du média à la richesse du message, cette dernière dépendant de l’incertitude perçue et de l’équivoque perçue des informations à transmettre:

  • il suffira donc d’un média pauvre pour des problèmes qui ne relèvent que de l’incertitude: ainsi on préférera par exemple choisir le SMS ou la messagerie instantanée pour fixer l’heure d’une réunion prévue;
  • alors qu’on choisira un média riche pour des questions jugées plus ambiguës ou équivoques:  par exemple choisir le média face-à-face pour discuter des arguments qu’il faudra présenter à cette réunion.

3. Les compléments à la théorie de la richesse des médias

La validation empirique des situations de choix d’un média n’est pas évidente, car beaucoup d’autres variables entrent en jeu (voir par exemple le modèle des Genres de communication). Dans une perspective de choix des médias, la théorie de la richesse des médias, TRM, est alors très souvent  complétée par d’autres cadres théoriques:

  • Limayem et Rowe (1998) complètent la TRM par la Théorie de l’influence sociale (voir J. Fulk 1993). Les perceptions des moyens de communication sont certes déterminées par leurs caractéristiques plus ou moins “objectives”, mais aussi par les attitudes et comportements des autres membres de l’organisation. Si le choix d’un média pertinent dépend en partie de la perception individuelle des tâches et des médias, cette perception dépend aussi de l’expérience personnelle et de celle de l’entourage (réputations, croyances, comportements culturels…). Les normes de comportements sont en effet influencées par le contexte social: ce que disent les autres à propos des TIC, ce que font les autres avec les TIC…
  • Carlson et Zmud (1999) propose une théorie de l’expansion du canal, pour tenir compte du fait que l’expérience du média augmente sa richesse perçue. La richesse d’un média n’est pas une donnée « objective », elle est perçue et surtout elle est dynamique : une compréhension partagée au fil du temps entre les acteurs qui utilisent un media accroît sa facilité d’usage.
  • Trevino et al. (1990) font appel à la théorie de l’interactionnisme symbolique pour montrer que le choix d’un média revêt aussi un sens symbolique. Le média n’est pas un simple canal de transmission, car il constitue en lui-même un message : son usage peut devenir un indice symbolique qui permet de montrer son autorité, sa légitimité, sa compétence… (voir Les structures sociales de la communication).
  • d’autres études complètent la TRM par la Théorie de la présence sociale (voir R. Rice 1993), mettant en avant le degré de présence entre deux interlocuteurs, lequel est fonction à la fois de l‘intimité du média (depuis la note de service, jusqu’au face à face en privé) et de l’immédiateté des réponses permises (média synchrone ou asynchrone). Les médias auxquels est associé un niveau plus élevé de présence sociale conviendraient mieux lorsqu’il s’agit d’exécuter des tâches équivoques (génération d’idées, prise de décision…) mais aussi des tâches à caractère socio-émotionnel (tentative de persuasion, résolution de conflits…);
  • l’association de la théorie de la richesse médias et de la théorie des usages et gratifications permet à J. BonTempo et J. Skinner (2014) de proposer un « guide » pour améliorer l’efficacité de la communication sur la santé dans les programmes internationaux.

3. Le choix d’un média ou l’effet millefeuilles? La surcharge informationnelle

Mais finalement, plutôt d’observer des situations de « choix » des médias, M. Kalika et al. ( 2007) définissent plutôt un « effet millefeuilles » : en fait les managers ne peuvent pas choisir le ou les médias qui seraient “pertinents”, ils empilent les médias comme les couches d’un millefeuille, ils les juxtaposent sans les mélanger. Il n’y a pas de substitution entre médias, mais il apparait au contraire une surcharge informationnelle. On constate en effet des effets de spirale (l’usage d’un média entraine l’usage d’un autre), des effets de complémentarité (un média en complément des autres), des effets bureaucratiques (routines d’utilisation qui perdurent), des stratégies des acteurs, des besoins sociaux…

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Voir les autres théories utilisées dans le développement des SI

Voir la carte générale des théories en management des S.I.

RÉFÉRENCES

R. Daft, R. Lengel (1986), Organizational information requirements, media richness and structural design, Management Science

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R. Daft, R. Lengel, L. Trevino (1987), Message equivocality, media selection, and manager performance: Implications for information systems, MIS Quarterly.

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J. Fulk (1993), Social Construction of Communication Technology, Academy of Management Journal, Vol. 36, No. 5

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R. Rice (1993), Media appropriateness, Human communication research, 1993, vol 19, n°4

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J. Carlson, R. Zmud (1999), Channel expansion theory and the experiential nature of media richness perceptions, Academy of Management Journal, vol 42, n°2

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M. Limayem, F. Rowe (1998), Richesse des services téléphoniques et exclusion dans un service public, Politiques et management public vol. 16.

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Linda Trevino, R. Daft, R. Lengel (1990), Understanding Managers’ Media Choices: A Symbolic Interactionist, Chap 4 in Organizations and communication technology

Books.Google

J. BonTempo, J. Skinner (2014), Cadre théorique pour le choix des médias, dans les programmes de création de la demande de santé, HC3

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M. Kalika, N. Boukef Charki, H. Isaac (2007), La théorie du millefeuille. De la non-substitution entre communications électroniques et face à face, Revue Française de Gestion, 172.

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Voir les recherches en SI qui utilisent cette théorie, sur le site Theories used in IS Resaerch

Media richness theory