Théories sociales de la communication: le contexte, le sens – M. McLuhan, J. Habermas, A. Giddens…

Le schéma général

communicationDéfinition des principaux concepts

Les nombreuses théories sociales de la communication ont toutes en commun l’attention portée au contexte:

  • c’est dans un certain contexte que se met en place une interaction de communication qui permet la construction de sens mais aussi l’influence (M. McLuhan, J. Austin, F. Flores…);
  • mais, dans un mouvement récursif, le contexte est aussi créé par les interactions vécues dans la communication (A. Giddens, L. Vygotski, K. Weick…)

 

1. Le CONTEXTE de communication est à la fois spatial, temporel, relationnel, culturel, intentionnel…

Le contexte de communication définit les règles, les rituels et les rapports de place : professeur/élève, médecin/malade, supérieur/subordonné, télévision/spectateur…

  • Pour Marshall McLuhan, théoricien des médias (voir M. McLuhan 1964 et le site marshallmcluhan.com) c’est le contexte qui est premier: le média est un contexte tellement porteur de sens qu’il impose même sa logique au message (cas de la télévision et aujourd’hui des réseaux sociaux numériques), d’où la formule célèbre « Le message, c’est le média » (voir Kane 2016).
  • Pour Jürgen Habermas (voir Théorie de l’Agir communicationnel) le contexte doit devenir le cadre d’une véritable éthique de la communication, une déontologie procédurale qui seule peut permettre la légitimité d’une délibération et d’une décision.
  • Pour Antony Giddens (voir Théorie de la structuration) l’important est la “dualité du structurel”, il y a toujours une récursivité entre les formes structurelles du contexte (par exemple la Langue) et les interactions vécues au quotidien (par exemple la Parole). Ces interactions entre acteurs sont définies comme des relations, contextualisées choisies et explicitables, où se déroulent des jeux de communication (sur le sens), des jeux de pouvoir (sur les ressources) et des jeux de moralité/sanction (sur les règles).
  • Pour Lev Vygotski, théoricien de l’apprentissage socio-constructiviste  (voir Théories de l’apprentissage, et voir ici Vergnaud 1989), le contexte de l’apprentissage se définit par une zone proximale de développement grâce aux médiations dans lesquelles se développe une relation de collaboration Individu/Tâche/Alter, relation dans laquelle s’organisent les possibilités d’apprentissage à un moment donné.

2. Dans les interactions de communication il y a COCONSTRUCTION de sens

Dans une relation vécue de communication il s’agit de sélectionner, parmi les implications possibles d’un énoncé explicite, celles qui sont pertinentes par rapport au contexte, il s’agit de se mettre d’accord sur le sens des énoncés, il s’agit de gérer une équivoque toujours présente. Mais le processus est récursif, car il s’agit aussi de donner du sens au nouveau contexte qui s’organise alors (voir Leplat 2001).

  • Pour Lev Vygotski le sens vient d’une médiation entre “l’individu, l’activité, l’Autre”, le langage étant à la fois un instrument de communication mais aussi un instrument de pensée : la pensée n’est pas seulement exprimée par les mots, elle vient à l’existence à travers les mots (voir Théories de l’apprentissage).
  • Pour Karl Weick l’énaction est le fondement même du processus de Sensemaking dans les situations de surprises, voir Décision par Enaction  : les individus contribuent à créer l’environnement dans lequel ils se trouvent. Voir Giordano 2006 : S’organiser c’est communiquer.
  • Pour Jürgen Habermas le sens se construit dans un consensus : il ne peut pas y avoir d’unanimité; et il n’y a ni compromis, ni vote. C’est en fait la constatation collective d’un consentement qui tient alors lieu de règle d’arrêt de la discussion (ce consentement par reconnaissance mutuelle de l’absence de nouveaux désaccords exprimés n’est possible que dans le cadre d’une véritable éthique de la communication). Voir Urfalino 2007: La décision par consensus apparent.
  • Pour Jacques Girin (2001) le sens se construit dans une situation de gestion.  Dans les organisations le rôle du langage est central  pour comprendre de quoi relèvent les échanges dans une situation de gestion. Ces échanges prennent un sens à l’intérieur de différents « cadrages » : en termes techniques, relationnels, d’autorité, d’éthique et de rapports sociaux. Un cadre adéquat est nécessaire pour comprendre ce qui se dit, comprendre ce qui se fait et comprendre ce qui se passe (pour prendre des exemples simples: est-ce un ordre ou bien une suggestion? est-ce une insulte ou bien un compliment? mais voir surtout ici la Théorie des Genres de communication). Il y  a coconstruction nécessaire d’un cadre de la communication, qui devient le mode de lecture de la « situation de gestion ». Voir J. Girin  (1990) : Problèmes du langage dans les organisations. Voir F. Aggeri (2017) : Retour sur deux concepts clés de l’œuvre de Jacques Girin.

3. La relation de communication est aussi une relation D’INFLUENCE par le langage

Une relation de communication ne se limite pas à un transfert, car chacun y développe aussi sa stratégie (identité de soi, opportunisme, domination…). Le langage comme le paralangage peuvent en effet être “performatifs”:

  • Pour le philosophe John Austin, (voir Slakta 1974) “Dire, c’est faire”. Il y a des énoncés “constatatifs” qui décrivent la réalité (« Aujourd’hui il pleut« ), mais aussi beaucoup d’énoncés performatifs où le langage devient action sur le réel (« Je vous déclare unis par le mariage”: Qui déclare? A qui cela peut-il se déclarer?…). Communiquer c’est aussi chercher à faire faire, à faire croire ou à faire penser : certains énoncés qui se font passer pour constatatifs sont en fait performatifs (“Mari et Femme”, “Black, Blanc, Beur”, “Terroriste”… mais aussi “Développement durable” ou “Compétitivité”...).
  • Pour Fernando Flores, dans la théorie des actes de langage  il faut alors distinguer les conversations pour l’action (affaires courantes) et les conversations pour des possibilités : voir Flores 2012 et le site Conversation for Action.
  • N. Giroux et L. Marroquin (2005) distinguent alors une perspective dite « critique” (qui analyse les relations Narration/Pouvoir, voir ici P. Bourdieu 1982 : Ce que parler veut dire) et une perspective dite « postmoderne” (qui cherche à valoriser la polyphonie et la multiplicité des significations : voir Communication et storytelling).

Au total, dans toutes les approches sociales de la communication:

  • (1) le message se structure certes dans sa relation au canal de communication,  mais surtout dans sa relation au contexte;
  • (2) l’information n’est pas univoque (incertitude, ambiguïté, connotations, surprise…) et il faut lui donner un sens par une coconstruction;
  • (3) l’émetteur et le récepteur ne sont pas différenciés (comme le suggèrent les théories de communication basées sur le concept de feedback), ils sont tous les deux « EmetteuRécepteur », acteurs à la fois d’un processus de transfert et d’un processus d’influence.

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En mettant ici la priorité sur l’analyse des structures sociales du contexte et du langage, on s’oppose aux théories de la communication qui mettent d’abord en avant le canal de transmission ou à celles qui mettent en avant le feedback dans l’interaction:

CarteCommunication

Voir les autres théories utilisées dans la Communication

Voir la carte générale des théories en management des S.I.

RÉFÉRENCES

Marshall McLuhan (1964), Pour comprendre les médias, Seuil collection Points 1968. Fiche de lecture Université Montpellier 3.

Pdf

Jacques Girin (2001), La théorie des organisations et la question du langage. Document de travail CRG-Polytechnique.

Pdf

J. Girin (1990), Problèmes du langage dans les organisations, in J-F Chanlat L’individu dans l’organisation

Books.Google

Fernando Flores (2012), Conversations For Action and Collected Essays: Instilling a Culture of Commitment in Working Relationships

lien vers l’introduction et  lien vers préface

Pierre Bourdieu (1982), Ce que parler veut dire, Note de lecture, Université Montpellier 3.

Pdf

O. Kane (2016), Marshall McLuhan et la théorie médiatique : genèse, pertinence et limites d’une contribution contestée, Tic&société, Vol. 10, N° 1

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Urfalino P. (2007), La décision par consensus apparent. Nature et propriétés, Revue européenne des sciences sociales, XLV-136

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G. Vergnaud (1989), Relire Vygotski et débattre avec lui aujourd’hui, Enfance, Tome 42 n°1-2.

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F. Aggeri (2017), Situation de gestion et agencement organisationnel. Retour sur deux concepts clés de l’œuvre de Jacques Girin, Le Libellio d’AEGIS Vol. 13, n° 3

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Y. Giordano (2006), S’organiser, c’est communiquer : le rôle fondateur de la communication dans l’organizing chez Karl E. Weick, in Les défis du sensemaking en entreprise, Paris, Economica

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D. Slakta (1974), Essai pour Austin, Langue française, Vol 21 n° 21

le lien

J. Leplat (2001), La gestion des communications par le contexte, Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 3-1

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N. Giroux et L. Marroquin (2005), L’approche narrative des organisations, Revue française de gestion, 2005/6 no 159.

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Voir aussi  sur le site IS Theories

Langage Action Perspective