Théorie des écosystèmes d’affaires: coopétition, innovation collaborative, stratégies de plateforme – J. Moore, D. Teece

 Les schémas

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L’écosystème d’affaires autour d’une firme-pivot (adapté de Moore 1996, dans cette vidéo Xerfi)

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ESA : la plateforme TIC, support de l’innovation collective (in Isckia, 2011)

Définition des principaux concepts

Un écosystème d’affaires (James Moore 1996) désigne une « communauté économique » autour d’une entreprise pivot « dont les membres incluent les fournisseurs, les producteurs, les concurrents et autres parties intéressées. Leurs capacités et rôles coévoluent à travers le temps, et ont tendance à s’aligner avec les directions choisies par une ou plusieurs compagnies centrales ». C’est cette coévolution et cet alignement qui permet de parler d’écosystème, par analogie avec un écosystème écologique (voir Fréry et al. 2012).

1. L’écosystème d’affaires autour d’un centre pivot : innovation collaborative et coopétition

Alors que la logique de territoires a donné naissance aux réseaux tels que les districts industriels, pôles de compétitivité, clusters, technopoles, incubateurs… ce sont des logiques de gouvernance de l’innovation collaborative qui caractérisent un écosystème d’affaires ESA, autour d’un centre pivot (une ou plusieurs entreprises leaders) et d’un projet commun.

James Moore (1996) décrit ainsi un système dynamique d’interactions diverses, d’arrangements et de partenariats entre le centre-leader, le réseau proche et les acteurs périphériques, pour exploiter ensemble des compétences complémentaires: compétitivité par les coûts ou les délais, mais surtout innovation collaborative sur de nouveaux marchés. Par sa vision stratégique et par ses compétences relationnelles écosystémiques, le centre-leader (ou firme-pivot) construit et gouverne « le sentier le plus collaboratif possible autour d’une intention stratégique permettant au plus grand nombre d’adhérer au projet » (Gueguen et Torrès, 2004).

Des améliorations continues et de nouveaux processus d’innovation doivent être engagés pour maintenir l’écosystème et éviter son déclin. David Teece (2007, 2010) associe alors l’ESA au concept de capacités dynamiques, lesquelles permettent de définir de nouveaux modèles d’affaires (voir Stratégies de rupture) intégrant le partage des connaissances. A. Attour et T. Burger-Helmchen (2014) analysent alors le couple modèle d’affaires / écosystème d’affaires comme source d’innovation de type « Open Business » : reconfiguration des compétences (voir Théorie des capacités dynamiques), co-création de l’offre (voir Théorie du Lead-user) et innovation ouverte (voir Théorie de l’Open innovation).

En référence à un écosystème, la coévolution dans le temps des différents acteurs et de leurs capacités à innover se traduit par des phénomènes de coopération entre concurrents, qui relèvent de la coopétition : à la fois coopération (intérêt commun) et compétition (intérêt individuel), voir Pellegrin-Boucher et Gueguen (2005), voir Chiambaretto (2011) et voir cette vidéo de F. Le Roy sur les stratégies de coopétition:

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Mais Koening (2012) relève des contradictions dans la définition unique donnée par J. Moore, car il existerait en fait une diversité d’ESA en fonction du contrôle des ressources clé et du mode d’interdépendance. Dans ces « constellations de firmes partenaires », une typologie peut alors distinguer les systèmes d’offre (type Nike), les plateformes (type Amazon Web Services), les communautés de destin (type Sematech) et les communautés de foisonnement (type Open Source).

2. L’écosystème d’affaires comme réseau inter-organisationnel : le rôle des systèmes d’information dans une stratégie de plateforme

De nombreuses études (voir la revue de littérature proposée par Isckia 2011) montrent que les règles qui s’imposent à l’ensemble d’un ESA passent par l’architecture des systèmes d’information (que ces règles résultent d’un processus de coévolution ou qu’elles soient définies par le centre leader) :

  • dans les GAFAM comme dans l’industrie des télécoms ou celle des jeux vidéo, la gouvernance d’un ESA s’appuie au départ sur des spécifications techniques gérées par le centre-pivot : API de Facebook pour l’accès aux données, système d’exploitation Android de Google, protocoles de communication de l’Internet des objets, Web services, kits de développement SDK.. Ce sont ces spécifications qui permettent à la fois la proposition d’une offre commune, la diffusion d’une norme que cherche à imposer l’ESA, mais aussi la gestion fine des droits de propriété intellectuelle (DPI) par le centre-leader : voir Viseur 2016, voir ce dossier Internetactu.fr et voir le Blog X-Propriété intellectuelle;
  • dans des secteurs industriels comme l’aéronautique, l’automobile, la distribution… ce sont plutôt des plateformes collaboratives (qu’elles soient propriétaires ou partagées, ouvertes ou fermées) qui permettent la construction d’un réseau de partenaires, lesquels s’inscrivent généralement dans une logique de spécialisation : co-conception, crowdsourcing, co-design, co-production, co-branding… Edouard et Gratacap (2010) comparent ainsi l’ESA de Boeing et celui d’Airbus, Ronteau (2009) analyse les dynamiques d’innovation dans l’ESA de Dassault Systèmes, Loilier et Malherbe (2010) analysent les capacités organisationnelles dans l’écosystème des services mobiles NFC. T. Isckia (2011) montre que le concept d’ESA permet de faire le lien entre la Théorie de l’innovation ouverte et les Business models qui relèvent de différentes stratégies de plateformes sur des marchés bi-faces ou multi-faces.
  • Aujourd’hui les écosystèmes du numérique sont devenus de véritables empires et leur pouvoir monopolistique hors de toute régulation devient un problème pour l’innovation, voir cet vidéo de Joëlle Toledano

  • Pour une analyse de ce nouveau capitalisme de plateformes, voir le blog de C. Benavent et voir les propositions de N. Srnicek (2018) présentées par H. Guillaud sur le blog InternetActu.

Voir les autres théories utilisées dans les stratégies des SI

Voir les autres théories utilisées dans le développement des SI

RÉFÉRENCES

James Moore (1993), Predators and prey: a new ecology of competition, Harvard Business Review, May-June

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David Teece (2007), Explicating dynamic capabilities: the nature and microfoundations of (sustainable) enterprise performance, Strategic management journal, n° 28

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D. Teece (2010), Business models, business strategy and innovation, Long range planning N° 43

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T. Isckia (2011), Écosystèmes d’affaires, stratégies de plateforme et innovation ouverte : vers une approche intégrée de la dynamique d’innovation, Management & Avenir, Vol 6, 6 n° 46

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F. Fréry, A. Gratacap, T. Isckia (2012), Les écosystèmes d’affaires, par-delà la métaphore, Revue française de gestion N° 222

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E. Pellegrin-Boucher, G. Gueguen (2005), Stratégies de “coopétition” au sein d’un écosystème d’affaires: une illustration à travers le cas de SAP, Finance Contrôle Stratégie, vol 8 n°1

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Chiambaretto (2011), La coopétition, ou la métamorphose d’un néologisme managérial en concept. AEGIS Le Libellio, Vol. 7, n° 1

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S. Edouard, A. Gratacap (2010), Configuration des écosystèmes d’affaires de Boeing et d’Airbus : le rôle des TIC en environnement innovant. Management & Avenir, 34(4),

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S. Ronteau (2009), Embrasser la condition de firme-pivot : dynamiques d’innovation de Dassault Systèmes dans son écosystème d’affaires. Management & Avenir, 28(8)

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G. Gueguen, O. Torrès (2004). La dynamique concurrentielle des écosystèmes d’affaires: Linux contre Microsoft. Revue française de gestion, no 158

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G. Koenig (2012), Le concept d’écosystème d’affaires revisité, M@n@gement, Vol. 15

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A. Attour, T. Burger-Helmchen (2014), Écosystèmes et modèles d’affaires : introduction , Revue d’économie industrielle, N° 146 

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T. Loilier, M. Malherbe (2010), Genèse d’un écosystème d’affaires et approche par les capacités : les enseignements d’une étude de cas, Conférence AIMS

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