Théorie des parties prenantes: RSE ou Stratégie de gouvernance élargie? E. Freeman

LES SCHÉMAS

Partenaires

SchemaPP

Typologie des différentes théories inspirant l’approche Parties Prenantes (Mercier 2006)

Définition des principaux concepts

Depuis 1990, Edward Freeman a popularisé le terme de Stakeholders ou parties prenantes (voir Freeman 2004), dans une acception au départ extrêmement large : « Individu ou groupe d’individus qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs organisationnels ». Yvon Pesqueux (2009) détaille les postulats aujourd’hui essentiels de cette vision partenariale de l’entreprise :

  • plusieurs groupes affectent ou sont affectés par les décisions managériales;
  • on étudie la nature de ces relations en termes de processus et de résultats;
  • les « parties prenantes » construisent une constellation d’intérêts à la fois coopératifs et concurrents;
  • et aucun intérêt n’est censé dominer celui des autres.

Si on peut parler d’une « approche » par les parties prenantes (les stakeHolders de E. Freeman), il paraît difficile de l’envisager aujourd’hui comme une « théorie » (voir Gond et Mercier, 2003). Le terme de théorie est en fait employé ici parce que l’approche Parties Prenantes se cherche comme une alternative à une véritable théorie opposée, celle de la Valeur Actionnariale pour les stockHolders actionnaires (voir Théorie de l’agence).

On peut rappeler qu’en France, l’objet d’une société (ici on ne parle même pas d’une entreprise) est défini par l’article 1833 du code civil depuis le code Napoléon de 1804 «Toute société doit (…) être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social ». La loi Pacte en 2018 a modestement ajouté …et en « prenant en considération » les enjeux sociaux et environnementaux de son activité (voir J-B Lenhof, 2018).

Note : si vous disposez d’une connexion à la base de publications CAIRN, voir le dossier « Décider avec les parties prenantes » (2006) avec 16 contributions : le sommaire de ce dossier est à cette adresse.

1. Les deux visions de l’approche par les parties prenantes

On peut parler des parties prenantes comme d’un « objet frontière », c’est-à-dire un objet qui circule dans plusieurs communautés en conservant le même nom mais pas toujours le même sens (même s’il s’agit toujours ici de réduire les asymétries d’information, pour éviter l’opposition de certaines parties prenantes ou en gagner l’adhésion). A la suite d’une large étude de la littérature, le schéma proposé ci-dessus par S. Mercier dans le dossier « Décider avec les parties prenantes » (2006) clarifie deux positionnements :

  • une première vision est issue des problématiques du management stratégique, et donc avec une dimension instrumentale, sous l’angle du contrat (ou plutôt de la métaphore du contrat, voir Cazal 2011) et d’une gouvernance organisationnelle élargie: la performance devrait être appréciée sous de multiples perspectives, les intérêts des actionnaires ne sont pas toujours exclusifs (voir Charreaux et Desbrières 1998). On peut y voir un élargissement de la théorie d’agence et de la « Corporate Governance » : les dirigeants doivent être ici considérés comme les agents de tous les stakeholders (voir l’exemple de la gouvernance dans l’Éducation nationale, Pupion et al. 2006) mais le problème théorique devient alors celui des mécanismes d’une répartition optimale de la valeur entre les stakeholders (voir Yahchouchi 2007).
  • une deuxième vision est issue des problématiques de la responsabilité sociale des entreprises RSE (voir Pesqueux 2009), et donc avec une dimension normative, sous l’angle de l’éthique (voir Le numérique et l’éthique déontologique)  et de la légitimité (voir la Théorie des conventions): le profit devrait être contraint par le besoin de justice et de considération de tous les partenaires  dans les domaines réglementaires, politiques, technologiques et environnementaux (voir Mullenbach 2007 et voir Stakeholder Theory and Applications in Information Systems, chapitre 22 de l’ouvrage Information Systems Theory à cette adresse). Le cadre des Parties Prenantes est par exemple systématiquement invoqué dans les problématiques de développement responsable (la norme générale ISO 26000 sur la responsabilité sociétale des organisations prévoit par exemple l’identification des parties prenantes et le dialogue avec celles-ci). Les réseaux d’ONG activistes, qui ont une forte crédibilité dans l’opinion publique, peuvent ainsi amener les industries mondialisées à accepter de nouvelles formes de régulation sociale (voir l’exemple donné par F. Palpacuer 2008) et une plate-forme comme I-boycoot.org s’est donné comme mission « d’offrir aux citoyens un outil leur permettant d’agir concrètement contre les grands acteurs économiques à l’origine de scandales éthiques ».

2. La liste indécidable des parties prenantes : les difficultés d’une typologie

L’identification des parties prenantes constituerait la première condition d’existence d’une véritable théorie, mais la classification des parties prenantes devient de plus instable quand on s’éloigne du centre de la constellation qui reste toujours l’entreprise :

  • parties prenantes primaires (contractuelles) ou secondaires (diffuses);
  • parties prenantes internes ou externes (ces dernières étant soit « classiques » soit « à pouvoir d’influence »);
  • parties prenantes volontaires ou involontaires;
  • parties prenantes comme ayants-droits directs ou indirects;
  • parties prenantes stratégiques ou morales;

Mitchell, Agle et Wood (1997) proposent trois critères de pertinence, Pouvoir/Légitimité/Urgence, ce qui permet d’identifier sept types de parties prenantes (selon que ces dernières possèdent un, deux ou la totalité de ces trois critères): les parties incontournables sont à l’intersection des trois perspectives, les parties dominantes à l’intersection des critères de pouvoir et de légitimité, les parties dangereuses à l’intersection des critères de pouvoir et d’urgence et les parties dépendantes à l’intersection des critères de légitimité et d’urgence.

Il s’ajoute à ces difficultés d’identification le fait qu’un même individu peut très bien appartenir à plusieurs groupes (par exemple, salarié et militant et consommateur) et surtout le fait ces « sujets génériques » qui seraient parties prenantes (clients, fournisseurs, salariés, consommateurs, associations…) ne sont pas pour autant des catégories sociales.

Au final, pour Pesqueux (2017), tous les classements qui sont proposés actent l’inégalité entre propriétaires (shareholders) et non propriétaires (stakeholders), tout comme entre les parties prenantes (puisque certaines pouvent « légitimement » être considérées comme plus importantes que d’autres).

3. La RSE et les parties prenantes

On ne peut que donner ici le résumé de la contribution très argumentée de Y. Pesqueux (2020). Après une introduction qui positionne la notion de «vieille» RSE, ce texte (100 pages, en ligne) aborde successivement:

  • un focus sur la polysémie de la notion de RSE (responsibility ou responsabilité, social ou sociétal, entreprise ou corporation);
  • un focus sur les contours d’une perspective culturaliste de la RSE;
  • un focus sur la citoyenneté d’entreprise (de la citoyenneté organisationnelle à l’impossible notion d’entreprise citoyenne);
  • la RSE, thème de gestion et signe de l’institutionnalisation de l’organisation (pourquoi avoir parlé de RSE?);
  • un focus sur l’importance accordée aux ONG: mais de quel type d’organisation s’agit-il?;
  • un focus sur altruisme, égoïsme, bénévole, volontaire, militant, élu, mécène;
  • un focus sur le don;
  • un focus sur la théorie des parties prenantes comme théorie aisément « idéologisable » (une théorie empirique ou normative? les parties prenantes comme fondement possible d’une démocratie délibérative?);
  • les activité influencées par les catégories de la RSE (de la consommation responsable au financement participatif);
  • la mise en œuvre et l’évaluation des politiques de RSE;
  • un focus sur la mesure de l’impact financier de la RSE (les liens RSE/performance financière, la performance sociale des entreprises);
  • un focus sur le reporting extra-financier (le foisonnement des normes, les critiques faites à l’audit social…);
  • les systèmes de management de la RSE; la norme ISO 26000: 2010 sur la responsabilité sociétale); l’analyse «coût –avantages»
  • une conclusion sur les critiques adressées à la «vieille» RSE.

.

Voir les autres théories utilisées dans le contrôle des S.I.

Voir la carte générale des théories en management des S.I.

REFERENCES

E. Freeman, A. Wicks, B. Parmar (2004), Stakeholder Theory and “The Corporate Objective Revisited”. Organization Science vol 15 n°3

le lien ou Pdf

J-P Gond, S. Mercier (2003), Les théories des parties prenantes : une synthèse critique de la littérature, document de travail, publication en 2006 dans Décider avec les parties prenantes

le lien

G. Charreaux, P. Desbrières (1998), Gouvernance des entreprises: valeur partenariale contre valeur actionnariale Finance contrôle stratégie Vol 1, n°2

 le lien

Y. Pesqueux (2009), La responsabilité sociale de l’entreprise ou l’épuisement d’un thème de gestion, Congres de l’ADERSE

Pdf

Y. Pesqueux (2011), La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) comme discours ambigu. Innovations n° 34 – 1

le lien

Y. Pesqueux (2017), Robert E. Freeman et la théorie des parties prenantes en question. Master. France.

Pesqueux (2020), La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE): la «vieille» RSE d’avant les Accords de Paris de 2015 et de la pandémie Covid-19 de 2020

le lien

J-B Lenhof (2018), Le projet de loi Pacte et les nouvelles « personnalités » de l’entreprise, Économie et management, n° 169

le lien

D. Cazal (2011), RSE et théorie des parties prenantes : les impasses du contrat, Revue de la régulation 1er semestre

le lien

P-C Pupion,  E. Leroux, J-J Latouille, A. Paumier (2006), Vers un nouveau mode de gestion de l’Éducation nationale inspiré des enseignements des théories de l’agence et des parties prenantes.  Politiques et management public, vol. 24, n° 2, 2006. pp. 41-68

le lien ou Pdf

A. Mullenbach (2007), L’apport de la théorie des parties prenantes à la modélisation de la responsabilité sociétale des entreprises, Revue des Sciences de Gestion vol 1 n°223

le lien

F. Palpacuer (2008), Firme-réseau globale et réseaux transnationaux d’ONG : Vers un nouveau mode de régulation ? Revue de la régulation, Janvier

le lien

G. Yahchouchi (2007), Valeur ajoutée par les parties prenantes et création de valeur de l’entreprise, Revue des Sciences de Gestion n°2

le lien ou Pdf

R. Mitchell, B. Agle, D. Wood (1997), Toward a Theory of Stakeholder Identification and Salience: Defining the Principle of Whoand What Really Counts, Academy of Management Review, Vol. 22, No. 4

le lien

Voir sur le site IS Theory la liste des références en SI qui utilisent cette théorie :

Stakeholder theory

et dans l’ouvrage Information Systems Theory, le chapitre 22

Stakeholder Theory, Applications in Information Systems