Théorie des conventions: mimétisme rationnel, justification – A. Orléan, L. Boltansky, L. Thévenot…

  Le schéma général

Convention1

La convention, un système cognitif sur le comportement des autres

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Conventions ecran

La convention, un nécessaire « écran d’information » :  le mimétisme rationnel

Les principaux concepts

La théorie des conventions veut intégrer trois dimensions de l’action humaine: une articulation entre différentes rationalités et différents modes de coordination, mais aussi la place des valeurs collectives dans cette articulation (voir Eymard-Duvernay et al. 2003): « Les mots clés de l’économie des conventions sont: accords, repères communs, croyances, représentations collectives, justification, pouvoir symbolique et légitimité » (voir Orléan 2004).

La théorie des conventions constitue un véritable corps théorique « non standard », qui met en avant la rationalité des conventions, plutôt que la rationalité du calcul individuel (théorie standard des Théories des contrats) ou la rationalité procédurale (théorie standard étendue de la Rationalité « limitée »): voir le « Dictionnaire des Conventions », avec plus de 60 contributions (Batoufilier et al., 2017).

Ce sont en effet les conventions de comportement et la pluralité des formes d’évaluation qui permettent à la fois:

  • aux acteurs de surmonter l’incertitude et l’incomplétude d’information (qui restent toujours « radicales »);
  • et à la théorie d’analyser la véritable complexité des marchés et des organisations, sans réduire cette complexité au seul « calcul intéressé » sur des transactions ou sur des contrats.

La pluralité des formes d’évaluation tient au va-et-vient entre deux niveaux de conventions:

  • une convention de premier niveau (convention-1 ou modèle d’évaluation) est une représentation sur le fonctionnement correct d’une relation particulière que des individus forment entre eux : construction d’un collectif, affirmation d’une forme de coordination associée à une modalité d’évaluation, formation d’attentes sur les comportements respectifs de ses membres;
  • les conventions de deuxième niveau (conventions-2 ou règles conventionnelles) correspondent au sens plus courant du terme convention : des règles implicites prescrivant le bien-faire, un monde commun légitimé et préalable à tout accord (voir Le numérique et l’éthique déontologique). Ce sont des règles plus générales (prises pour acquis) et donc avec moins d’espace d’interprétations locales.

1. Conventions-1 : les conventions d’effort et conventions de qualification, la décision par MIMÉTISME RATIONNEL

Pour P-Y Gomez (1995), une convention est un système de règles et de critères implicites ou explicites, connu d’un ensemble de personnes : un système cognitif d’attentes réciproques sur les compétences et les comportements des autres, auquel un individu se réfère pour décider (il s’agit donc plutôt de convention-1):

  • une convention, dans son énoncé (le discours) et dans son dispositif matériel (les pratiques), précise le comportement des acteurs et réduit ainsi le besoin d’information : le dispositif des feux de circulation rend ainsi inutile la communication directe entre conducteurs (et heureusement!), chaque conducteur peut « décider » de passer au feu vert, car l’énoncé de la convention prévoit que les conducteurs de l’autre voie s’arrêteront au feu rouge;
  • les règles partagées ainsi jouent le rôle d’un écran nécessaire, qui permet de ne pas avoir besoin de toute l’information sur le comportement des autres (puisque c’est définitivement impossible). Il devient alors rationnel de ne pas s’écarter la règle, c’est le mimétisme rationnel. Sur les différentes formes que peut prendre le mimétisme voir A. Eggrickx (2012) et voir notamment « l’isomorphisme rationnel » dans la Théorie néo-institutionnelle.

P-Y Gomez distingue les conventions d’effort et les conventions de qualification:

  • un individu peut ainsi décider de son investissement dans le travail en se référant à l’implication en vigueur chez ses collègues proches : c’est un exemple de convention d’effort, celles qui fondent les échanges à l’intérieur des organisations (voir Gomez 2006, voir aussi l’exemple de Taskin et Gomez (2015) sur le télétravail);

  • la direction d’une entreprise peut ainsi décider d’implanter un ERP (voir Pupion et Leroux 2006) en se référant aux choix effectués par d’autres sociétés reconnues comme performantes, innovantes ou leaders dans le secteur : c’est un exemple de convention de qualification, celles qui fondent les échanges sur un marché.

Voir cette vidéo de P-Y Gomez (2014, 12mn):

PYG

2. Conventions-2 : les conventions d’interprétation lors d’un conflit de légitimation, une théorie de la JUSTIFICATION

Les travaux de Luc Boltanski et Laurent Thévenot (1991) portent sur l’articulation de registres de légitimité différents. Les conventions (appelées ici des « cités » ou des « mondes ») sont « des constructions politiques d’ordres légitimes qui servent aux gens à se mesurer dans des actions quotidiennes ». Pour construire un accord ou régler un différend, il faut en effet commencer par pouvoir faire valoir de « bonnes raisons », mais qui doivent être compréhensibles et acceptables par les autres (il s’agit donc plutôt d’une convention-2, préalable nécessaire à une discussion sur l’action quotidienne).

Six grands principes supérieurs se dégagent alors (voir ce tableau sur Wikipédia), qui sont des grilles de lecture du monde, des systèmes de lecture des règles, des registres de justification, des conventions d’interprétation :

  • la cité marchande s’appuie sur des relations contractuelles et une logique donnant-donnant;
  • la cité industrielle entend valoriser l’efficacité et la productivité;
  • la cité civique fonde ses actions sur la recherche de l’intérêt général;
  • la cité de renom vise la reconnaissance sociale;
  • la cité domestique est un univers de traditions, d’attachement et de respect des règles qui fondent la vie du groupe;
  • et la cité inspirée qui se réfère à un principe d’innovation et de créativité.

Pour qu’une appropriation fonctionne à un niveau collectif, il y a une compétition antérieure sur la signification des règles (convention-2, dont le rôle est d’assurer qu’on partage le même langage) et ceci avant même la compétition sur les règles elles-mêmes (convention-1, dont le rôle sera d’assurer une coordination efficace définissant alors une institution ou une organisation, voir Bessy et Favereau 2003) : un conflit de légitimité est donc nécessaire en amont de tout ajustement (consensuel ou non) : c’est le processus de justification, qui s’appuie sur une ou plusieurs des six grandes conventions d’interprétation ou « cités ». Pour pouvoir dialoguer, il faut effet avoir justifié un compromis sur un langage commun général qu’on n’aura plus à discuter par la suite (sinon la définition des règles elles-mêmes impliquerait une régression à l’infini) : « la pluralité des justifications conduit nécessairement à des compromis, c’est-à-dire des accords pour suspendre les différends » (Thévenot 1996).

Mais pour Luc Boltanski, le risque d’aujourd’hui est que toute la vie sociale s’est malheureusement laissé envahir par une seule des conventions, celle de « L’Excellence » et des classements quantitatifs. Voir cette très claire vidéo de 5mn, sur le site 4tempsdumanagement:

Au total, la théorie des conventions constitue un véritable corps théorique « non standard », fondé sur la rationalité des conventions plutôt que sur le calcul individuel (la théorie standard, voir Théorie des contrats) ou sur la rationalité procédurale (la théorie standard étendue, voir Rationalité limitée):

Rationalites

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Voir les autres théories utilisées dans le contrôle des S.I.

Voir la carte générale des théories en management des S.I.

RÉFÉRENCES

F. Eymard-Duvernay, O. Favereau, A. Orléan, R. Salais,L. Thévenot (2003), Valeurs, coordination et rationalité : l’économie des conventions ou le temps de la réunification dans les sciences économiques, sociales et politiques. Document de travail

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A. Orléan (2004), L’économie des conventions : définitions et résultats, PUF Paris, Préface p. 9-48

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P-Y Gomez (1995), Des règles du jeu pour une modélisation conventionnaliste, Revue française d’économie, volume 10, n°3

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L. Boltanski, L. Thevenot (1991), De la justification, les économies de la grandeur, Paris Gallimard, Note de lecture des étudiants MIP du Cnam

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F. Batoufilier et al. (2017), Dictionnaire des Conventions, Septentrion, Paris

Sommaire et lien Books.Google

L. Thévenot (1996), Justification et compromis, dans Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale Paris, PUF

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L.Taskin, P-Y Gomez (2015), Articuler la théorie de la régulation sociale et l’approche conventionnaliste en gestion pour comprendre l’échec d’un projet de changement organisationnel ? Illustration par la mise en place du télétravail, @GRH n° 14

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C. Bessy, O. Favereau (2003), Institutions et économie des conventions, Cahiers d’économie Politique n° 44

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Eggrickx, A. (2012). Réflexion critique sur l’adoption d’outils de gestion par mimétisme : le cas de la LOLF. Management & Avenir, 54(4)

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P-C Pupion, E. Leroux (2006), Diffusion des ERP et comportements mimétiques, Conférence AIMS

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