Théories de l’improvisation organisationnelle: le bricolage, l’émergence, l’agilité… C. Ciborra, K. Weick

Schéma général

 Improvizing1. Un modèle du bricolage, dans une situation d’improvisation (L. Witell et al. 2017)

Orlikowski

2. Un modèle d’improvisation, dans le changement organisationnel (W. Orlikowski,1997)

anass

3. Le bricolage collectif, pour l’implantation d’un ERP dans des petites filiales (A. Mawadia et al. 2020)

Les principaux concepts

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L’improvisation organisationnelle est devenue un véritable champ de recherche (voir l’ouvrage Organizational Improvisation, 2002).  Ce champ s’est construit autour de deux métaphores : celle du bricolage (le faire-avec et la sérendipité, mis en avant par C. Ciborra, 1977) et celle de l’orchestre de Jazz (la capacité collective à la création, mise en avant par K. Weick, 1998). Support théorique important pour le concept d’agilité, une théorie de l’improvisation au niveau organisationnel reste délicate, car cela ne peut pas être seulement la somme des improvisations individuelles.

1. L’improvisation dans la pratique des acteurs : la métaphore du bricolage

Claudio Ciborra rejette l’idée classique d’une « stratégie des systèmes d’information » et donc d’un alignement stratégique (voir Ciborra, 1997). Car si on prête vraiment attention aux évènements, aux pratiques quotidiennes et aux interprétations des acteurs, ce qu’on peut voir c’est en fait un SI-en-pratique, la plupart du temps hors de contrôle, et dont l’analyse nécessite alors des concepts totalement nouveaux (voir Girard 2012):

  • le bricolage est le concept central de C. Ciborra: une recombinaison par les acteurs des ressources qui sont à portée de main pour résoudre les problèmes rencontrés (voir le schéma 1 ci-dessus, voir  Witell et al. 2017). En compensant les manques d’un produit ou service conçu top-down, le bricolage est un processus d’innovation locale bottom-up, un ingénieux faire-avec (et qui peut donner une véritable différentiation, car les créations sont de faible envergure et difficilement reproductibles, voir l’exemple du « bricolage collectif » des ERP analysé par A. Mawadia 2020 et voir laThéorie du Lead-user);
  • l’improvisation, qui étymologiquement signifie « en dehors du cours normal du temps », met ici l’accent sur l’imprévisibilité. L’improvisation dépend des dernières circonstances, mais elle n’est pas forcément synonyme de vitesse : on peut même dire qu’on prend le temps, au lieu d’être pris par le temps (car la vitesse peut au contraire condamner à utiliser des procédures déjà planifiées et répétitives). Le contraire de l’improvisation c’est donc moins la planification que le sentiment d’ennui, celui qui empêche d’agir car il empêche « d’être dans le moment » (voir Ciborra, 1996) ;
  • la dérive est un glissement du rôle et de la fonction de la technologie lors de son d’utilisation, par rapport aux objectifs prévus. L’innovation peut résulter ici d’un heureux hasard, suivant le principe de sérendipité;
  • L’infrastructure informationnelle est le cadre sous-jacent de « l’acteur situé » : c’est une façon particulière de voir la combinaison des ressources technologiques et des acteurs (voir La sociomatérialité). Cette infrastructure peut donner à certaines routines de travail un « caractère fondamental de fausse nécessité », et il faut alors de nouvelles façons de voir, favorisées par : la capacité de sauter, l’importance du moment de la vision, le laisser-aller, un sens de la responsabilité, l’ouverture à l’étonnement, la valorisation des pratiques marginales et même leur déplacement à une place centrale.

C. Ciborra conçoit alors la technologie comme un « actant », au sens de la Théorie de l’Acteur-réseau (voir Ciborra, 1997) :

  • la cultivation, plutôt que le contrôle : la technologie est un « actant » en partie autonome, ambigu et souvent imprévisible, qu’il faut donc « cultiver » et non chercher à contrôler. C’est un actant avec lequel il faut composer, interagir ;
  • l’hospitalité est une attitude qui consiste à accueillir temporairement « l’actant-technologie », mais sans pour cela abolir toute frontière. C’est à travers cette hospitalité que la technologie est humanisée : elle apporte son propre « monde » et l‘hôte qui la reçoit doit composer avec l’ambiguïté de cet inconnu. Ciborra (1999) montre aussi que l’hospitalité envers la technologie peut se transformer à tout moment en hostilité.

C. Ciborra fait alors sept « préconisations paradoxales » pour favoriser les situations d’apprentissage plutôt que la surveillance et le contrôle (voir Ciborra, 1991) : valoriser le bricolage, favoriser l’expérimentation locale, accepter la sérendipité, laisser se développer les innovations émergentes, accepter d’apprendre « sur le tas », accepter les échecs, collaborer mais sans imiter (voir les exemples donnés par F-X de Vaujany, 2009).

2. L’improvisation organisationnelle : la métaphore du Jazz

La métaphore de l’orchestre de Jazz, utilisée par Karl Weick en 1998, a donné le coup d’envoi à toute la réflexion théorique et empirique sur l’improvisation organisationnelle (voir Weick, 1998). On peut distinguer les situations d’improvisation et le changement organisationnel.

  • L’improvisation dans les situations improvisationnelles. L’improvisation est vue ici comme un comportement cognitif collectif dans une situation de gestion particulière. Les concepts de sensemaking et de vigilance collective proposés par K. Weick (voir Décision par construction de sens) et le concept de bricolage proposé par C. Ciborra sont alors utilisés pour analyser des situations exceptionnelles ou surprenantes (notamment une situation de crise, voir la thèse d’Edmond Passè en 2011, accès par www.theses.fr) ou des situations non anticipées et fluctuantes (notamment le déroulement d’un projet) : capacité à accepter l’impossible, propension à s’occuper des erreurs, sensibilité au contexte opérationnel, engagement pour la résilience, sous-spécification des structures, expérimentations… voir Weick (1993) et voir Weick (1998). En France les études sur l’improvisation dans ces situations particulières ont porté par exemple sur des projets humanitaires (voir Chédotel, 2005), sur l’utilisation d’Internet dans les situations de travail (voir Comtet, 2009), sur la canicule en 2003 (voir Adrot et Garreau, 2010), sur des équipes projets (voir Vignikin et Chédotel, 2016).
  • L’improvisation dans le changement organisationnel : émergence et agilité collective. La question de l’improvisation au niveau organisationnel est délicate, car cela ne peut pas être seulement la somme des improvisations individuelles. Une première réponse est apportée par le concept de « stratégie chemin faisant », voir les développement de M-A Avenier (2005) dans Émergence du changement : tirer parti des opportunités. interpréter les signaux faibles, apprendre en faisant… Pour Orlikowski et Hofman (1987) il s’agit aussi de tirer parti des capacités en évolution, des pratiques émergentes et des résultats imprévus qui accompagnent l’utilisation des nouvelles technologies (voir le schéma 2 ci-dessus). Mais on reste ici dans les conditions facilitatrices d’une émergence du changement. Une deuxième réponse est donnée par le concept de capacité dynamique à improviser (voir Capacités dynamiques), qui fait appel à l’agilité collective, en considérant qu’il y a une quasi-simultanéité de la décision et de l’action et donc une convergence qu’il faut organiser entre les phases de conception et de réalisation (c’est le credo des méthodes agiles dans le développement d’applications, méthodes basées sur la compréhension mutuelle). Sur cette perspective de l’improvisation au niveau organisationnel voir le lien Books.google de l‘ouvrage ORGANIZATIONAL IMPROVISATION (2002), avec les contributions des grands auteurs de ce domaine: M. Cunha, M. Hatch, K. Kamoche, A. Miner, C. Noorman, K. Weick, W. Orlikowski…

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Voir les autres théories utilisées dans les stratégies des S.I.

Voir la carte générale des théories en management des S.I.

RÉFÉRENCES

Claudio Ciborra (1996), Improvisation and Information Technology in Organizations, Conference ICIS

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C. Ciborra (1997), De profundis? Deconstructing the concept of strategic alignment, Scandinavian Journal of Information Systems, Vol. 9 No. 1

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C. Ciborra (1999), Hospitality and IT, Seminar IRIS 22, Keuruu, Finland

Pdf

C. Ciborra (1991), From thinking to tinkering: the grassroots of strategic information systems, Conference ICIS 1991

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Karl Weick (1998), Introductory Essay, Improvisation as a Mindset for Organizational Analysis. Organization Science 9(5)

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K. Weick (1993), Organizational redesign as improvisation, in Organizational Change and Redesign, Oxford Press

Books.Google

ORGANIZATIONAL IMPROVISATION (2002), Eds Routledge : douze contributions, dont celles de M. Cunha, M. Hatch, K. Kamoche, A. Miner, C. Noorman, K. Weick, W. Orlikowski…

Books.Google

W. Orlikowski, D. Hofman (1997), An Improvisational Model of Change Management: The Case of GroupwareTechnologies, WP publié dans Sloan Management Review

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F.X. de Vaujany (2009), Un éclairage original de l’appropriation des outils de gestion : la vision improvisationnelle de Claudio Ciborra. Cahiers de recherche CERAG 2009 02 E5

le lien

A. Girard (2012), La perspective improvisationnelle de Ciborra, Chapitre 3 de la thèse « L’intégration des médias sociaux dans les stratégies d’e-GRH », Université de Montpellier, en ligne

Chapitre 3

A. Mawadia, A. Eggrickx, P. Chapellier (2020), La créativité organisationnelle : un apport pour le bricolage collectif, Management international, 24 (1)

le lien ou Pdf

A. Adrot, L. Garreau (2010), Interagir pour improviser en situation de crise. Le cas de la canicule de 2003, Revue française de gestion Vol 4 n° 203

le lien ou la thèse de A. Adrot

F. Chédotel (2005), L’improvisation organisationnelle: Concilier formalisation et flexibilité d’un projet. Revue française de gestion, no 154

le lien

I. Comtet (2009), Entre usage professionnel des TIC et structure organisationnelle : la capacité au bricolage comme compétence adaptative, Études de communication, n° 33 

le lien

A. Vignikin, F. Chédotel (2016), Le lien entre la capacité d’une équipe projet à improviser et sa performance : le rôle de la culture d’expérimentation. Congrès AGRH

Pdf

L. Witell, H. Gebauer, E. Jaakkola, W. Hammedi (2017), A bricolage perspective on service innovation, Journal of Business Research n° 79

le lien

D. Autissier, F. Bensebaa, (2018), L’entreprise face à un environnement complexe, le bricolage stratégique

La vidéo